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jean-michel tesseron
2 avril 2018

Salariés-Clients: je note, tu notes, nous trinquons

 

satisfaction clientA partir du vendredi 30 mars 2018, le journal Libération a engagé une réflexion très intéressante en quatre numéros sur le système de notation par les consommateurs / clients.

De plus en plus généralisé par les entreprises, ce système met les employés sous pression; il affecte leur rémunération pour une part très sensible, s'il ne va pas jusqu'à entraîner leur licenciement, comme Libération en donne des exemples dans le secteur français des télécommunications dans son numéro du samedi 31 mars.

Par ailleurs, il entraîne le consommateur dans un comportement pervers, parfois sans qu'il s'en rende compte, mais aussi dans certains cas de façon délibérée.

Ce système de notation, dans ses modalités pratiques concrètes, est issu des méthodes de management les plus récentes du capitalisme américain, qui ont maintenant largement traversé l'Atlantique.

 

A la base de la machinerie de la "satisfaction client" se trouve le concept de "Net Promoter Score" (NPS), inventé par Fred Reichheld, présenté par Libération comme "un gourou américain du management qui promet prospérité et bonheur aux entreprises qui adopteraient son système". Aux entreprises? Je n'en suis pas sûr. Aux actionnaires, qui vont toucher leurs dividendes, je n'en doute pas. Aux salariés des entreprises, certainement seulement pour une petite minorité. Quant aux entreprises elles-mêmes, les actionnaires ont vite fait de transférer leurs avoirs dans des entreprises encore plus profitables pour eux, aussi c'est bien douteux au delà du court terme.

 

NPS-frLe principe d'origine du "Net Promoter Score" est relativement simple: les clients doivent répondre à une question, sur une échelle de 0 à10: "recommanderiez-vous cette marque à vos proches?" Tous ceux qui répondent entre 0 et 6 sont considérés comme des "détracteurs", ceux entre 7 et 8 comme "neutres", et ceux de 9 à 10 comme des "promoteurs." En d'autres termes, dit Libération, dans ce système "défiant toute logique mathématique, un 0 vaut un 6. Ce système, adopté par les plus grandes entreprises américaines - au premier rang desquelles on retrouve par exemple Apple, Microsoft ou Starbucks - permet de mesurer la "fidélité" des consommateurs."

Mais de la mesure de la fidélité des consommateurs à la marque ou au produit, l'application de la méthode a glissé en pratique rapidement à la mesure de la performance du salarié.

C'est ainsi que selon les variantes, de 1 à 5, ou de 1 à 4, ou de 0 à 10, par petites touches, la notation du salarié par le client s'est imposée dans la pratique. Je note, tu notes, et il y en a qui trinquent.

Avec des variantes dans les cultures qui posent problème: aux États-Unis, me dit quelqu'un qui en connaît bien les usages, un client satisfait met spontanément la note maximum. En France, cela ne se fait pas, et le client très satisfait aura tendance à donner une note de 8 sur 10.

 

you're firedLes conséquences sont lourdes. "Nous remarquons que vos dernières notes sont très en-dessous des standards de qualité qu'attendent les utilisateurs", voilà un exemple de message reçu par un chauffeur Uber. Dans un des plus grands opérateurs français en télécommunications, un salarié explique qu'il a reçu un jour un avertissement de sa hiérarchie mettant en cause sa performance, évaluée à 4,5 sur 5 à partir des notations des clients. On attend de lui qu'il atteigne rapidement au moins 4,8. Il est donc envoyé dans un stage de motivation. Au retour du stage, au prix de grands efforts, il parvient à 4,7. Quelques mois plus tard, on le prévient qu'il est renvoyé de l'entreprise. "You are fired!", comme disait Donald Trump dans sa célèbre émission de télé-réalité sur le monde des affaires - déjà! -, "The Apprentice", qui a fait sa popularité et a contribué à le propulser comme 45ème président des États-Unis. Notons à sa décharge qu'il reste cohérent avec lui-même, au vu du nombre de ses collaborateurs qu'il a fait regagner leurs pénates sur une humeur subite, et ce encore tout récemment.

 

supportclient_360Mais les entreprises françaises de télécommunications savent rendre l'application du principe encore plus dure. Ainsi, l'une d'elles affiche publiquement sur un mur les performances de tous les salariés, par ordre de satisfaction décroissant, pour que chacun soit incité à mieux faire et que les moins bien classés soient soumis à la vindicte des autres.

Pour faire bon usage du principe et inciter à la performance, il est devenu courant qu'une partie très substantielle du salaire dépende directement de la notation par les clients, sous la forme d'une prime individuelle. Une entreprise de télécommunications française est encore plus pugnace: en plus de sa prime individuelle, chaque salarié en reçoit une autre qui est liée à la performance de l'ensemble de l'équipe, évaluée en additionnant les notations de chacun. Comme les notations individuelles des salariés sont affichées, il en résulte que les salariés "les meilleurs" vont apostropher "les moins bons" pour les remettre en bon ordre de marche. La pression managériale est alors déléguée aux "collègues".

 

plateforme telecomUne autre facette intéressante concerne notre comportement en tant que clients, quand nous sommes amenés à noter. Quelles sont nos motivations? Des exemples donnés par Libération laissent penser qu'elles n'échappent parfois pas non plus à la perversité.

 Alors, que pouvons-nous faire?

On pourrait décider de ne plus noter. Mais je me suis aperçu depuis quelques mois qu'il m'arrive, étant forcé d'aller sur une application pour dire que j'ai effectivement reçu telle commande ou bénéficié de telle prestation, de devoir passer par une étape de notation, sans pouvoir sortir de l'application si je n'ai pas exprimé mon niveau de satisfaction, décomposé en plusieurs items. A plusieurs reprises, je n'ai pu m'en sortir qu'en provoquant un arrêt forcé de mon ordinateur en pressant la touche "arrêt" pendant une dizaine de secondes. Ensuite, j'ai dû relancer l'ordinateur en passant par l'étape du redémarrage suite à un arrêt incorrect. Cela vous est-il arrivé?

De plus, les entreprises ont senti le vent du boulet. Désormais, certaines considèrent tout simplement l'absence de notation comme une mauvaise notation, et le salarié est à nouveau pénalisé s'il n'a pas atteint un taux de réponses suffisant.

Autre solution: donner systématiquement la note maximum...

Et enfin trois dernières solutions;

- avertir l'opinion sur ces pratiques et sur les entreprises qui les mettent en œuvre, comme le fait Libération, et moi plus modestement;

- ne plus recourir aux services de telles entreprises;

- appeler à leur boycottage.

Avec le risque que ces trois solutions puissent s'avérer fâcheuses pour les salariés.

 

 

 

 

 

 

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jean-michel tesseron
  • Vie multiple: ingénieur Supelec à EDF puis RTE; musique bretonne; théâtre; poésie; foi chrétienne; philosophie; politique; actualité; points de vue; citations; coups de cœur; transition énergétique; photos de paysages, personnes, lieux aimés, portraits
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